L'OLTR a pris connaissance d'un texte rédigé par Patrick le Carvese, un membre de la chorale de la Paroisse Notre-Dame-Joie-des-Affligés et Sainte-Geneviève (Paris), rue Saint Victor.
Ce texte est une réflexion très intéressante sur le chant des fidèles au cours des offices orthodoxes. Ce texte, datant de mai 2012, n'a, en fait, jamais été publié. Et l'OLTR a ouvert son site pour le faire connaître.
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A propos du chant des fidèles au cours des offices orthodoxes
Au cours d'une assemblée générale de ma paroisse en 2012, l'un des participants a morigéné ceux qui, sans y avoir été invités, chantent en même temps que le chœur au cours des offices, en ajoutant que cette attitude le gênait dans sa propre prière. Cette remarque aurait été banale si elle avait été formulée par un chef de chœur épris d'ordre, ou même par un choriste déçu que sa belle voix soit polluée par un importun. En fait, elle venait d'un paroissien ne faisant pas partie du chœur et n'étant pas à ma connaissance intéressé par une telle perspective, ce qui finalement donnait beaucoup plus de poids à son intervention. Elle a pris encore plus de relief lorsque dès le lendemain, au cours d'un colloque de musique liturgique, ce fut au tour d'un fidèle – catholique, lui – de se plaindre de l'impossibilité, dans un office orthodoxe, de chanter lorsque l'on n'est pas membre du chœur !
Cette revendication, que je n'ai jamais entendue de la part d'un orthodoxe (certains ont réglé le problème en s'autorisant à chanter « en douce ») est compréhensible venant de fidèles catholiques participant à des offices dans lesquels un meneur de chant ad hoc entonne les mélodies en s'aidant d'un instrument de musique, invitant ainsi les fidèles à participer au chant. Dans ce système, l'habitude est au chant monodique (les harmonisations étant exécutées par un instrument) alors que les offices orthodoxes de tradition russe impliquent le plus souvent la polyphonie.
De ce choix résulte un impératif technique : un chœur doit être constitué, les voix étant réparties en groupes vocaux homogènes. Dans ce contexte, si le chœur comporte quatre pupitres dont un seul chante la mélodie et que les 50 personnes qui composent l'assemblée chantent toutes la mélodie, autant supprimer les trois autres pupitres du chœur à cause du déséquilibre, en volume sonore, entre mélodie et voix d'accompagnement. On comprend dès lors que l'assemblée ne soit pas sollicitée en permanence ; cependant, sa participation est inégale selon les paroisses orthodoxes.
Dans telle paroisse, l'assemblée est rarement appelée à chanter : elle intervient seulement (et encore pas toujours) pour le symbole de foi (« credo ») et le « Notre Père ». Dans telle autre, les fidèles chantent les amen et les kyrie eleison. Dans une autre encore, l'assemblée chante aussi les antiennes de la liturgie dominicale, les tropaires, le canon eucharistique etc. Il peut même arriver que dans une paroisse le chœur et l'assemblée interviennent simultanément : ce n'est là qu'une exception, rendue possible parce que nombre de fidèles sont d'anciens choristes, chacun retrouvant naturellement sa place dans un ensemble polyphonique.
Le rôle des fidèles peut donc être différent, dans une même paroisse, en fonction du chef de chœur du moment, chacun sollicitant plus ou moins l'assemblée. Cependant, le chef de chœur ne doit pas décider pas de manière arbitraire, par exemple selon l'humeur du moment : certains chants doivent être nécessairement confiés au chœur seul, soit parce qu'ils sont difficiles à exécuter, soit parce qu'il n'est pas possible de mettre en permanence, à la disposition des fidèles, des textes nombreux et variables ou qui sont chantés rarement. L'intervention du chœur seul permet d'utiliser pour dix ou quinze personnes une seule partition ou un seul texte simultanément et d'en changer rapidement. Cette situation pourrait être considéré comme un handicap, mais en réalité elle empêche les choristes d'avoir le nez dans leur partition, et donc de chanter ensemble en dirigeant son regard dans la même direction, c'est-à-dire vers le chef de chœur.
Mais si la liturgie, étymologiquement, est l'œuvre commune, elle n'est pas une œuvre concomitante, sauf lorsqu'il s'agit de grandes prières (Credo, Notre Père, prière avant la communion et peut-être d'autres). On admet sans discussion que certaines parties puissent confiées à un prêtre seul, d'autres à un diacre ou à un lecteur, chacun intervenant pendant que tous les autres participants sont à l'écoute. Il est facile de comprendre que le sanctuaire n'est pas accessible à tous, même s'il s'y passe des choses « passionnantes » : chacun trouve normal que ce lieu soit réservé au clergé. Alors, pourquoi refuser que certaines parties de l'office soient le propre du chœur ? Pendant que celui-ci exécute un chant, même le prêtre garde le silence. L'écoute n'est pas une forme de passivité : celui qui écoute s'enrichit, surtout si les textes chantés sont tirés des Ecritures ou des Pères de l'Eglise.
Le fait de chanter au chœur n'est pas un privilège, c'est seulement un service, ni plus ni moins important que d'autres dans l'Eglise. On rappelle parfois aux choristes qu'ils ne sont pas au chœur pour se livrer à leur prière personnelle, mais pour chanter la Parole en le faisant au mieux de leurs possibilités, Le choriste est (ou devrait être) perpétuellement en tension, pour que ses interventions soient nettes et dynamiques, étant entendu qu'il est toujours possible à un choriste, à l'occasion de tel ou tel office, de se retirer momentanément en prenant place dans l'assemblée. S'il est présent, il doit tendre vers l'idéal de beauté qui est présent dans tous les offices. De même que l'on attend d'un prêtre ou d'un diacre qu'il célèbre correctement, il est normal d'exiger du chœur une bonne prestation : qui pourra prier en entendant des chants mal exécutés, c'est-à-dire agrémentés de fausses notes ou hurlés ? Mais pour que la qualité technique soit obtenue, il n'est pas possible d'improviser ou de suivre approximativement ceux qui ont travaillé ensemble. C'est une des raisons qui justifient la présence d'un chœur dans les offices orthodoxes, auquel revient le principal rôle en matière de chant, l'assemblée des fidèles n'étant sollicitée que périodiquement, en fonctions de règles précises.
Pour conclure, laissons parler l'apôtre Paul :
En effet, comme nous avons plusieurs membres en un seul corps et que ces membres n'ont pas tous la même fonction, ainsi, à plusieurs, nous sommes un seul corps en Christ, étant tous membres les uns des autres, chacun pour sa part. Et nous avons des dons qui diffèrent selon la grâce qui nous a été accordée. Est-ce le don de prophétie? Qu'on l'exerce en accord avec la foi. L'un a-t-il le don du service? Qu'il serve. L'autre celui d'enseigner? Qu'il enseigne. Tel autre celui d'exhorter? Qu'il exhorte. Que celui qui donne le fasse sans calcul, celui qui préside, avec zèle, celui qui exerce la miséricorde, avec joie... ( Romains 12,4-8).
Il y a diversité de dons de la grâce, mais c'est le même Esprit; diversité de ministères, mais c'est le même Seigneur; diversité de modes d'action, mais c'est le même Dieu qui, en tous, met tout en œuvre. A chacun est donnée la manifestation de l'Esprit en vue du bien de tous (1 Corinthiens 12,4-7).
Mais tout cela, c'est l'unique et même Esprit qui le met en œuvre, accordant à chacun des dons personnels divers, comme il veut. (1 Corinthiens 12,12)
Que chacun donc cherche à exercer ses dons, et s'il ne sait comment aider matériellement la communauté, qu'il la serve par la prière.
Patrick le Carvèze
Mai 2012